// Hotel The Ocean//

Sur le parking devant l’hôtel, une moto verte à la forte cylindrée s’arrêta. Un jeune homme à l’air innocent retira son casque et se dirigea vers l’entrée ; il portait une veste en cuir sombre très élégante et un jean de grande facture. Il traversa la porte et arriva au comptoir qui était bien sur désert, en cette chaude matinée. Il regarda autour de lui d’un air curieux, remarqua une petite clochette dont il agita la sonnette, puis alla s’asseoir sur une petite chaise devant un tas éparse de magasine.
La décoration était assez moche, à son gout. Les murs étaient bleus, avec des peintures difformes dessus, sensées ressembler à des poissons et autres bestioles marines… derrière le comptoir, une statut d’espadon accueillait les visiteurs de sa chaleureuse corne…

Le téléphone vibra
« Hallo Han ? Ca va ?
- Charnat, c’est toi ? Tu vas bien ?
- Yep !! Mais ton père m’a appelé, il était furieux. T’as ptête poussé le bouchon un peu loin en hackant son système informatique.
- Ca m’aura fait gagner du temps.
- Mais quand même… bon, t’as trouvé un coin sympa ?
- Aucune idée ; l’hôtel est un peu sordide, mais la ville a l’air vraiment perdu, et paisible en plus. Donc je pense que je m’en sors bien. Je vais prendre un peu de repos, enfin. Je te laisse, voilà quelqu’un."

Il raccrocha alors qu’apparaissait en haut de l’escalier menant aux chambres un quadragénaire au physique anodin.
« J’peux faire quequchose pour vous ? »
Sa voix était éraillée, on aurait dit qu’il allait clamser en parlant, pensa Hanna.
- Une chambre pour dormir, sur une durée indéterminée.
- T’es majeur ?
Hanna ne put s’empêcher de sourire à cette question. Il montra sa carte d’identité, avec un faux nom bien sur…
- Ok, donc tu veux une chambre. M’en reste une de libre au dernier étage. Tout c’qui m’reste.
- Je prends.
- Bloody Hell f’gaffe. Pas de tout r’pos cet hôtel. J’prends la carte bleue.
- Je vous fais un acompte de 1000 dollars, je sais pas combien de temps je vais rester.

Bien que surpris, le tenancier accepta. Et le paiement s’effectua sans que rien de plus intéressant (c’est pour vous dire) ne soit prononcé.
- Dernière étage, y a qu’une seule, chambre, à droite. J’vous accompagne pas, mes rhumatismes me font souffrir.

Hanna monta donc à l’étage seul. C’est là qu’il fit une étrange rencontre. Une jeune femme, d’une bonne vingtaine d’années, à qui il manquait un oeuil. Elle était sur le palier du premier, et semblait l’attendre pour l’observer. Il eut la désagréable sensation d’être tout entier analysé par cet oeuil unique, ce qui lui fit froid dans le dos.

« Bonjour m’dame » fit il en passant et s’éloigna sans se départir de son calme devant cette présence qui le gênait.
Qui le gênait, d’abord parce qu'il n’était pas habitué que les gens l’observent en tirant des conclusions autres que « oh le jeune homme innocent »… et quelque chose lui disait que cette femme voyait bien au-delà des apparences, et qu’elle avait aussi perçu son regard à lui, qui n’omettait pas grand-chose non plus.
Deux tatouages sur le dos des mains : à droite E/H/F/L, ce qui ne lui disait rien, à gauche, un symbole mythologique, qui laissait conclure qu’elle venait du nord de l’Europe. Islande, Suède ou Norvège, mais un pays de tradition nordique… le style vestimentaire était soigné, mais une certaine relâche, calculée, était effectué. Des muscles fins pour une parfaite condition physique… et une grande beauté, très féminine malgré ses airs autoritaires, ce qui troublait toujours le jeune homme ;

Bref, malgré sa curiosité, il fut content de s’arracher à cette présence qui réveillait au fond de son estomac un léger malaise, insuffisant pour lui faire perdre sa contenance, mais il n’était tout de même pas habitué.

Il arriva au dernier étage, trouva sa porte, tourna la clé et rentra dans une chambre sordide, en bois, juste sous le toit, équipé d’une tuyauterie délabré et d’un vieux lit en fer complètement bricolé. Une petite fenêtre donnait une vue sur la plage ; pas de meuble.

« Bon et bien il reste plus qu’à m’installer ».

Et il laissa la porte ouverte pour faire courant d’air et lutter contre l’odeur de renfermer de tout grenier reconvertit en chambre d’hôtel qui se respecte.

Freyja se réveilla en sursaut. Elle avait les traits tirés et son dos était couvert de sueur, collant son pyjama à sa peau avec une moiteur désagréable. Foutus ventilateurs, incapables de se battre avec la chaleur ambiante.
La jeune femme passa une main dans ses cheveux en inspirant profondément, reposant son front dans sa paume. Puis, elle soupira et se leva pour aller prendre une douche froide, le seul réconfort qu’elle aurait dans cette journée bien chargée.
En quittant son lit, elle essaya de ne pas marcher sur les diverses photos et papiers du dossier sur ce cadavre découvert dans les poubelles de l’immeuble dans lequel Herinnen avait établi ses quartiers pour l’enquête. Ils payaient un prix d’or, tout ça pour retrouver des cadavres dépecés par des Toriens dans leurs poubelles ! Freyja essaya de ne pas être de mauvaise humeur tout de suite et entra dans sa salle de bain.
Là, elle s’autorisa à se regarder dans le miroir. Elle agrippa les rebords du lavabo et avoua d’un air meurtrier à son reflet :

- J’ai sa chanson dans la tête !

Oui, c’était bien pour ça qu’elle avait très très mal dormi. Déjà qu’une Freyja habituelle n’est pas la femme la plus avenante du monde, imaginez-la alors qu’elle s’est levée du pied gauche. C’était aussi de sa faute, à lui ! (Oui, ne cherchez pas, c’est toujours de la faute de Lester, même le jour où sa tartine tombera côté beurre sur son costume impeccable...)
C’était lui qui avait chanté la chanson de Sesame Street en s’électrocutant, c’était lui qui la lui avait mise dans la tête depuis maintenant deux jours et tout le Mozart n’y faisait rien !

Espérant un lavage de cerveau, la jeune femme se déshabilla et plongea sous la douche en ouvrant l’eau froide jusqu’au maximum. Cela lui fit du bien. Elle se sentait un peu en été en Islande. L’Islande lui manquait. Elle détestait les Toriens d’aimer le soleil !

Quelques minutes plus tard, une Freyja légèrement plus avenante sortait de sa chambre. Ses cheveux étaient presque secs, impeccablement coiffés et repoussés dans son dos. Elle portait une chemise blanche sous une veste d’un beige très clair, le tout assorti au pantalon et des chaussures d’un marron foncé qu’elle avait cirées la veille. Sous la veste, son holster contenant son Beretta était tout juste caché car elle était dans un hôtel où très peu de personnes circulent entre sept heures et neuf heures, sauf ses hommes qui avaient obligation de se trouver à leurs postes à huit heures et demi. Et on n’était pas en retard avec Freyja Eriksson. Elle pouvait donc ne pas fermer sa veste : tout le monde a un holster par ici. Elle avait d’ailleurs ses gants dans sa poche en attendant d’être vraiment obligée de les mettre pour le faire. Dans cette fournaise, il valait mieux garder le plus de peau à l’air libre. Dans sa main droite, sa mallette Herinnen, dans la gauche le dossier avec les photos du cadavre. Elle devait aller retrouver Mikaels à un café devant lequel il avait monté la garde toute la nuit pour prendre leur petit déjeuner ensemble et parler des résultats et de ce nouveau dossier. Il faudrait renforcer la sécurité de cet hôtel. Visiblement des Toriens l’approchaient d’un peu trop prêt à son goût...
Alors qu’elle marchait dans les couloirs, elle rencontra le Docteur Günshe. Il était insomniaque et profitait de ses nuits blanches pour travailler dans sa chambre. Freyja aimait bien son sérieux, même si elle trouvait sa blouse blanche un peu sale et ses chaussons à carreaux vraiment démodés, vieux et inutiles dans un pays où elle aurait pu se promener en débardeur si elle n’avait pas risqué la transformation homard en moins de trente secondes. Elle le salua et il lui fit un grand sourire en remarquant le dossier bleu dans sa main :

- Je vois que vous vous intéressez à des choses bien lugubres ce matin, mademoiselle, lui fit-il.
- Les Toriens ne m’attendront pas pour dépecer une autre pauvre fille ! Le travail qu’ils lui ont fait était vraiment très sale ! répondit Freyja, s’autorisant un sourire.
- Un monstre ne peut pas faire d’oeuvre d’art, renchérit le Docteur en désignant son petit scalpel.
- J’y vais, docteur, déclara Freyja, je dois aller prendre un café avec Fergusson. Mangeons des croissants pendant qu’ils dévorent la peau des pauvres jeunes gens !

Elle avait parlé un peu fort car elle était déjà en train de le dépasser. Grosse erreur.
Car elle n’était pas seule, contrairement à ce qu’elle avait cru quelques secondes plus tôt.
Il y avait bien sûr Günshe et si un autre membre d’Herinnen s’était trouvé là, il aurait soit été bouché bée devant le fait que le boss ait fait un semblant de blague (mais Freyja a beaucoup d’humour, elle est juste incomprise...) soit, il aurait franchement ri.

Mais ce jeune homme là ne fit ni l’un ni l’autre. D’ailleurs, il était un peu jeune pour être à Herinnen, même si elle comptait dans ses rangs le plus jeune médecin du monde, elle savait à quoi elle ressemblait et ce n’était certainement pas ce jeune homme.
Non, lui elle ne l’avait jamais vu et elle connaissait bien les visages de ses hommes. Elle n’avait pas de jeune homme d’environ seize ans, blond aux yeux verts avec un grand sourire d’une fraîcheur étonnante dans cette ville qui arrivait avec ses valises, visiblement essoufflé après l’escalier qu’il venait de monter.
Certes, sa carrure pas trop maigrichonne aurait pu en faire un aspirant à un poste d’Herinnen. Mais alors, il ne serait pas passé à côté d’elle comme si de rien n’était, comme si toutes les femmes avaient un oeil en moins et une peau pâle comme un cul dans un hôtel à Espérance et et comme si tout le monde faisait des blagues macabres dans les couloirs vers sept heures du matin.

Freyja le regarda passer, presque avec intensité, espérant qu’il allait faire quelque chose, avoir peur, demander des explications, lui adresser un salut militaire, se mettre à ses pieds pour lui demander un job... Mais il ne fit qu’un distrait «Bonjour m’dame» comme si elle était la dernière des touristes. Elle essaya de lui faire un sourire et lui fit un léger salut légèrement coincé.
En se retournant pour le suivre du regard, attendant toujours une réaction, elle croisa le docteur qui semblait aussi désarçonné qu’elle. Ils se regardèrent un instant.

- Vous ferriez mieux d’aller voir s’il n’a rien entendu de très compromettant, lui conseilla-t-il.

Même si elle avait horreur de ces ordres sous forme de conseil, elle préféra se rendre compte par elle-même de ce que ce pauvre innocent qui avait croisé sa route avait bien pu entendre. Note n° 16841638 pour moi-même : ne jamais faire de blagues lugubres dans les couloirs d’un hôtel, même très tôt.
Alors Freyja se retourna et rentra sur ses pas pour suivre le plus discrètement possible le jeune homme. Il monta dans une des rares chambres qui n’étaient pas réquisitionnées à prix d’or par Herinnen. C’était vraiment une chambre minable. Il n’avait plus qu’à espérer qu’il ne l’avait pas payée trop cher. L’ignorant toujours, il s’installa jusqu’à ce qu’elle se racle la gorge pour attirer son attention et engagea la conversation de la manière la plus normale qu’il soit :

- - Je suis encore mademoiselle, jeune homme, fit-elle de sa voix la plus gentille et douce possible en essayant même de sourire. Tant de sacrifices pour Herinnen. Une minute de silence s'il vous plait.

Le jeune homme était assis sur son lit ; il venait de sortir un petit objet, de la taille d’une grosse clé usb, et l’a connecté à un petit écran. Il avait senti la présence de la femme derrière lui, mais n’avait pas bronché ; peut être son visage avait il rosi une fraction de seconde, mais il avait globalement su garder sa contenance, et prenez même du plaisir à être observer maintenant.

« Je suis encore mademoiselle, jeune homme »

*Accent islandais, il avait sa réponse de tout à l’heure*

Quelques secondes passèrent pendant lesquelles Hanna continua son installation, dans une insouciance parfaite, puis il se retourna en affichant un petit sourire d’excuse

- Pardon mademoiselle, je vous présente mes plus plates excuses.

Un petit silence

- Je m’appelle Hanna. Je viens d’arriver en ville et je vais surement rester ici un petit moment ; vous savez si cette ville est sympa ?

Il marqua une pause, en arrêtant son regard sur le holster, puis la dévisagea quelques secondes. Il s’arrêta une seconde sur le visage, mais sans se bloquer sur l’oeuil arraché. Elle avait des traits d’une grande finesse, mais quelque chose sur son facies laissé apparaître une femme déterminée. Puis il regarda l’ensemble, s’arrêtant cette fois avec insistance sur le hoster, mais ne fit pas de commentaire à ce sujet. Une fois de plus, il nota les muscles à la fois fins et détachés de la jeune femme.

*Elle doit vraiment être sportive, celle là… je me demande ce qu’elle fait là. En tout cas elle a l’air sympa*

- Il fait une chaleur torride, n’est ce pas. Vous êtes là pour visiter aussi ?

Il n’attendit pas de réponse, car l’installation électronique dans son dos émit un petit bruit. Il se retourna, saisit le petit écran et fit à nouveau face à Fréya.

« C’est un ordinateur miniature qui est tout nouveau sur le marché ; c’est pas cher, ça n’a pas de mémoire, et ca permet d’avoir un ordinateur, même si il n’est pas très puissant, en toute circonstance » Il fit un grand sourire « C’est un peu la nano de l’ordinateur. L’écran, par contre, c’est de la très bonne qualité, fait exprès pour aller avec ce genre de machine ; et la clé 3 G, c’est pour l’internet. Vous vous y connaissez en ordinateur ? »

Il s’arrêta dans son monologue, fronça les sourcils et se mit à lire à voix haute ce qui se trouvait sur son écran.

«Meurtre sordide à espérance ; des jeunes filles ont été retrouvées dépecées sur la plage de cette ville pourtant paisible…. »

- Et bien il semblerait que vous n’étiez pas en train de plaisanter tout à l’heure.

Devant le silence gêné de la jeune femme, il décida de prendre les devants.

- Je vous invite prendre un verre au bar de l’hôtel et vous m’expliquez ? »

Freyja aurait du envoyer le Docteur à sa place. Non seulement parce que son tact était sérieusement à revoir mais qu’en plus, elle ne savait pas aborder les gens et la dernière fois qu’elle avait essayé de faire rire quelqu’un (mis à part ce bon vieux Docteur), elle avait menacé de faire exploser un café à l’aide d’un magnétophone. Mais passons.
Elle était la directrice de sa section, elle ne pouvait pas laisser les informations filtrer parmi les pauvres innocents habitants qui ne se doutaient de rien. Un vent de panique aurait soufflé sur la ville et l’hôtel aurait été pris d’assaut par de pauvres familles tenant à leur minable vie en espérant que les gentils Herinnen seraient le rempart le plus sûr contre ces monstres alors que, là où il y a Herinnen, il y a souvent des Toriens camouflés. Donc encore plus de morts, de cadavres, etc.
Mais passons, passons.

La jeune femme était donc sur le pas de la porte, les bras croisés, ses lunettes sur le nez en essayant d’avoir l’air à peu près avenante. En tous cas, pas genre ogresse qui va dévorer le pauvre jeune homme qui n’avait certainement pas demandé à entendre ses blagues débiles sur la chaîne alimentaire. Encore, il n’avait pas eu celle de l’éléphant bleu.

Un point pour lui, cependant, il s’excusa quand elle le corrigea. Cela flatta son orgueil, sa plus grande faiblesse. Cette fois-ci, elle sourit pour de vrai :

- Ce n’est pas grave, on se trompe souvent.

En fait, c’était faux, en général, on l’appelait mademoiselle parce que tout le monde savait bien qu’elle ne pouvait pas avoir de mari. Même quand elle était accompagnée de Mikaels.
Sans qu’elle ne lui demande, le jeune homme se présenta. Elle enregistra les informations : Hanna, pas de nom de famille, rester un petit moment, vacances en solitaires ou soucis dans son ancienne vie ? Ce n’était pas tout à fait ses affaires, sauf s’il venait à en savoir trop sur Herinnen et ses sujets d’observation.

Si la ville était sympa ?! Freyja essaya de ne pas s’étouffer sur place et se battit intérieurement pour avoir un visage à peu près neutre. Si la ville était sympa ? Une ville avec des gens décontractés et insouciants, avec du soleil, de la musique, de la franche camaraderie, sans neige, sans plat islandais ! Comment cela pouvait-il être ‘sympa’ ?!
Mais avant de répondre, la jeune femme prit un moment pour réfléchir et analysa ses informations. Bon, il fallait avouer que, comparé à l’image que la plupart des gens ont d’une ville sympa, Espérance était plutôt proche. Peut-être qu’en fait, beaucoup de personnes la trouvaient sympa, cette ville et qu’il n’y avait qu’elle pour sentir Espérance comme Ulysse sentait l’île de Calypso : sympa dans le texte, un vrai enfer quand on y est. Mais elle se devait de faire en sorte de passer pour une personne plus ou moins ordinaire. Donc, elle fit la réponse toute faite d’une personne ordinaire, tout en se rappelant pourquoi ce n’tait jamais elle qui partait pour faire les gardes habillée en civile :

- Oui, c’est un charmant coin de paradis, une ville assez petite et très sympathique.

Le boulot lui avait appris à mentir et aujourd’hui, elle en était très fière. Mais il fallait aussi dire que le jeune homme l’aidait. En vrai, il ne s’intéressait pas tellement à elle, il en avait sûrement rien à faire, il voulait juste beaucoup de calme et profiter de la plage, comme toutes les personnes qui se trouvaient par là. S’il avait entendu sa blague, il n’en avait pas fait cas et ne voulait pas en faire cas. Freyja se sentit soulagée tout d’un coup et allait se détourner pour retourner à son petit déjeuner promis depuis quelques minutes. Elle avait franchement besoin de café et de Mikaels pour oublier sa nuit d’enfer.
Tout aurait pu bien se passer. Elle aurait pu partir, le laisser là en paraissant soit, un peu impolie (mais elle s’en fichait pas mal) et reprendre sa vie, nous allons dire normale. Mais le destin était contre elle. Il était toujours contre elle. (et cette fois-ci, elle ne pouvait même pas dire que c’était la faute de Lester, du moins, pas directement)
Donc il se trouva que, juste après qu’elle se soit forcée à lui dire qu’Espérance soit une ville sympa, il trouve une connexion Internet dans ce taudis et qu’en plus, le premier site qui apparaisse soit un site de nouvelles sur Espérance avec les joyeuses nouvelles des corps trouvés dépecés. Non, vraiment, quelque chose s’acharnait contre elle. Maudit soit ce gamin avec sa technologie high-tech que même elle n’avait pas. Elle n’était pas au courant de cet ordinateur nano avec son superbe écran, elle en était encore au MacBook Air 13 pouces ! Maudit soit aussi ce gamin pour faire la connexion entre sa blague et les meurtres. Il n’aurait pas pu oublier tout ça et ne retenir que la partie concernant les croissants comme tout gamin normal ?! D’ailleurs, elle commençait fortement à douter sur le fait qu’il puisse y avoir des gens normaux dans cette ville. Peut-être qu’à la frontière il y avait une sorte de gaz ou d’épidémie qui rendait les gens bizarres.
Réflexion faite, non, elle avait toujours été comme ça. Lester aussi. Et puis Mikaels aussi. Et puis le Docteur Günshe aussi. Ils devaient probablement tous êtres tarés depuis longtemps, en vrai.

Mais concentrons-nous sur le problème le plus immédiat, autre le fait que Freyja ait atrocement envie de croissants au Nutella. (une des seules inventions australiennes qu’elle ait apprécié) Elle réfléchit à toute vitesse : c’était carrément impossible de faire comme si elle ignorait les meurtres, ça aurait été un peu gros à avaler, vu ce qu’elle portait dans sa mallette et sous son bras. La jeune femme fit comme si de rien n’était et, le temps de réfléchir, ferma légèrement sa veste. S’il avait vu son arme, elle était encore plus foutue qu’avant.
Que faire ? ... Tentons la procédure normale de camouflage en tant que ‘fille plus ou moins banale’. Elle n’avait pas le temps de réfléchir plus longtemps à un mensonge acceptable. Elle sourit et commença à sortir ses gants :

- Désolée Hanna, je ne bois jamais pendant les heures du boulot !

A cette phrase, elle ne put s’empêcher à la fois où elle avait enfreint cette règle avec un autre jeune avant qu’elle ne devienne directrice alors qu’ils étaient censé garder une entrée en ne laissant rentrer personne et que son collègue en question avait apporté du délicieux Whisky. Elle était prête à parier que, malgré le sourire compatissant de son père, il n’avait pas fortement apprécié le fait qu’elle traite Mikaels d’éléphant bleu (elle a quelque chose avec les éléphants bleus) et essayant de lui balancer son compagnon à la figure pour avoir osé suggérer qu’elle avait un peu bu.

- Cependant, je m’apprêtais à sortir, on pourrait s’arrêter sur la route, il y a un bar à jus de fruit sympathique où je pourrais vous apporter les maigres informations que j’ai.

C’est-à-dire les rares informations que je voudrais bien vous révéler pour vous faire peur jusqu’à la fin de vos jours et vous couper l’appétit pour la suite. Elle tenta un sourire avant d’abandonner l’idée et de jouer comme si elle avait un futur contact à mettre en confiance :

- Au fait, je suis Freyja Eriksson, je fais partie de la police, enchantée de vous rencontrer, fit-elle en lui tendant sa main gantée.

Il lui faudrait une poignée de main, comme elle savait bien les faire et elle pourrait le mettre en confiance. Il mettrait un certain temps avant d’apprendre la vérité et en quoi elle allait converger de ce qu’elle allait lui dire. D’ici-là, il n’irait pas aller tenter de contacter un Torien pour vérifier ses dires et elle pourrait essayer de le mettre en sécurité ou au moins de le faire suivre par un de ses agents. Pourquoi ne pas lui faire rencontrer Elwyn ? Ils s’entendraient peut-être bien, étant tous les deux jeunes et ayant envie de s’amuser un peu.

Bon, elle allait être en retard. En marche, elle passerait un coup de fil à Mikaels pour lui donner son explication et se recevoir une engueule au téléphone. Au moins, elle serait au point sur ce Hanna qui irait rejoindre les fichiers de personnes à se méfier car habitant dans le même hôtel.

« Au fait, je suis Freyja Eriksson, je fais partie de la police, enchantée de vous rencontrer »

Hanna resta immobile quelques secondes devant la main tendue de la jeune femme. Comme souvent, remarqua t’il ; il ne savait jamais comment se comporter avec les femmes, si il devait faire la bise, serrer la main, qu’est ce qui paraissait dépasser le degré d’intimité d’une relation (grand ou faible). Quand il tendait la main, il sentait que la femme en face de lui était surprise par tant de formalisme, et quand il faisait la bise, il avait l’impression que c’était mal perçue, qu'il était allé trop loin. Finalement, pensa t’il, ses manières un brin froide le mettait en confiance ; ça lui évitait de prendre l’initiative, et donc cette désagréable sensation de se planter à chaque fois.

Il avança donc et serra la main que lui proposait la jeune femme, qui n’était pas tant que ça plus âgé que lui d’ailleurs.

- Je vous en prie.

Fit-il en lui priant de lui emboiter le pas. Les deux s’engagèrent donc dans l’escalier, à la décoration toujours aussi moche. Ils croisèrent un homme qui lança à la femme un regard surpris, étonné, et lui sembla t’il, un brin moqueur ; mais juste un brin, comme si il avait peur des conséquences de tout sourire ouvertement narquois. En tout cas il était évident qu’il connaissait la jeune femme, et même assez bien, et qu’il éprouvait pour elle le plus profond respect, voir même une légère crainte.

D’ailleurs, Hanna eu la même sensation en débouchant à la suite de la jeune femme dans le hall de l’hôtel puis dans la rue, ou plusieurs fois il sentit des regards se poser sur eux l’espace d’une fraction de seconde. Mais ces choses là lui échappaient rarement.

Et puis il y avait le fait qu’elle soit de la police, qu’elle parle de dépeçage, qu’elle accepte de partager des informations mais qu’elle n’en est pas beaucoup. Cette femme était surement étrange, mais elle ne semblait pas incompétente. Son intuition lui disait deux choses :
- Qu’elle en savait beaucoup plus que ce qu’elle ne voudrait lui en dire.
- En corollaire, qu’elle choisirait avec précautions (et c’est surement ce qu’elle était en train de faire en marchant) les informations qu’elle allait lui divulguer, même si il était impossible encore de dire dans quel but.

« Quelle chaleur » fit-il ; la jeune femme acquiesça d’un hochement de tête. La chaleur était en effet torride en cette matinée, et la perspective d’un jus de fruit était drôlement appréciable. Ils arrivèrent donc au lieu dit et s’arrêtèrent quelques secondes pour prendre un jus de fruit. A peine fut ils assis que le jeune homme embraya.

« Les hommes dans l’entrée, vous les connaissiez ? Ils vous ont regardé avec un regard sacrément surpris en sortant… ? »

Il avala une grande gorgée de son jus en attendant ; il s’agissait d’un jus d’orange (il adorait ça) avec des glaçons. Au gout, il remarqua que le jus était synthétique, ce qui était déjà beaucoup moins appréciable, mais de boire une boisson froide en cette matinée, c’était comme trouver un sauna au milieu de la banquise : une délivrance. Hanna se dit qu’il irait bien faire un tour sur la plage dans la journée histoire de se rafraîchir, même si ce n’était pas le moment de penser à ça : il avait d’abord une réponse à écouter et analyser, et qui sait peut être se ferait il une amie. En tout cas, cette aura de mystère qui enveloppait cette ville lui plaisait énormément ; personne de sensée n’irait en vacance dans une ville ou des gens se font dépecés sur les plages.

*Mon père n’ira pas me chercher ici* pensa t’il. * Ou bien vraiment en dernier, genre de dépit, je fais espérance, puis j’attaque le reste du monde ; alors pourra t’il se planquer pour gagner encore plus de temps loin des affaires de Arrow of Steel qui l’ennuyaient prodigieusement*

Quand à sa sécurité, ma fois, si le psychopathe qui sévissait dans cette ville décidait de s’attaquer à lui… et bien cette ville n’en sera que plus sure après…

Changement de lieu. Nous sommes désormais dans la Rue Marchande. Pour nous suivre, c'est ici